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Neymar : le " transfert du siècle " est celui de l'époque

Que signifie le transfert de Neymar au PSG ? L'événement, sensationnel sous tous ses aspects (" Neymar au PSG ", " Neymar en Ligue 1 ", " Neymar pour 222 millions d'euros "), a déchaîné une médiatisation considérable et des rafales de commentaires.

D'un côté, un engouement largement majoritaire, de l'autre, beaucoup plus à la marge, des critiques virulentes sur « l'indécence » de la somme. Il est inutile d'arbitrer entre les sentiments et la morale : les indignés passent à côté du problème, les enthousiastes ne veulent pas le voir. Le nouveau record établi dépasse le double du précédent, pour Paul Pogba l'été dernier de la Juventus Turin vers Manchester United, à hauteur de 105 millions d'euros. Il a pourtant une rationalité économique, que les spécialistes expliquent depuis quelques jours : celle du marché des footballeurs, dont la croissance est entretenue par la hausse des revenus des principaux championnats professionnels. Ces revenus étant particulièrement concentrés au sein de quelques clubs, ceux-ci alimentent l'inflation des transferts en se disputant les meilleurs joueurs confirmés et les jeunes les plus prometteurs : deux marchés où l'offre est rare et la demande fortunée.

UN INVESTISSEMENT CALCULÉ

Le transfert de l'international brésilien consacre cette course aux armements : il établit un précédent, mais s'inscrit dans une continuité. Le Centre international d'économie du sport de Lausanne a développé l'Observatoire du football, un outil qui évalue, sur la base d'une dizaine de critères, la valeur de transfert théorique des joueurs à des chiffres rarement démentis par ceux des transactions « réelles ». Dans sa dernière édition, datée du 12 juin, Neymar était coté à 210,7 millions d'euros à La clause libératoire du Brésilien, proche de sa valeur de marché, n'était donc plus dissuasive.

Le classement du CIES indique que, pour ces actifs spéculatifs que sont devenus les footballeurs, l'âge est un facteur décisif. Les vingt joueurs les mieux cotés affichent une moyenne de 25 ans ; Messi (29 ans) n'est que 4e et Cristiano Ronaldo (32 ans), 11e. À 25 ans justement, Neymar cumule un statut hors-classe, proche de celui des deux stars du Real et du Barça (il est « le futur meilleur joueur du monde »), avec au moins cinq saisons à son meilleur niveau devant lui. Le PSG a fait le meilleur coup possible.

Les spécialistes sont partagés sur la réelle rentabilité de l'opération, à terme , mais les retours attendus sur cet investissement sont multiples. Neymar est à la fois un joueur exceptionnel, capable de contribuer directement au gain de titres ; un puissant levier d'image et de communication, qui a un effet instantané sur le statut international du PSG ; un formidable support de commerce et de marketing.

ENFONCER LA PORTE DU GOTHA

Une fois constatée la rationalité économique relative de ce pari, la question morale fait son retour avec celle de l'équité : logique ou rationnel ne veut pas dire légitime. Sans même revenir à ce qu'implique, en terme de distorsion de la concurrence, l'engagement d'un fonds souverain dans le financement d'un club, ni évoquer les accusations multiples portées contre le Qatar [3], le transfert de Neymar constitue un coup de force contre le fair-play financier de l'UEFA, dont il démontre à la fois les limites et les travers.

Faute d'avoir adopté un dispositif de régulation plus radical, susceptible de rétablir un peu d'équité et d'équilibre, le FPF a surtout eu pour effet de sécuriser les positions de force acquises par les clubs hyper-riches tout en fermant la porte aux nouveaux entrants soutenus par des investisseurs puissants à en premier lieu Manchester City et le Paris Saint-Germain. Ce dernier vient d'enfoncer la porte. Il le fait non pas en remportant des titres, mais en achetant un joueur.

Le PSG devra certes se soumettre à certaines contraintes (par exemple en allégeant sa masse salariale avec le départ de certains joueurs), voire subir des sanctions. Il va aussi connaître l'hostilité des résidents plus anciens du Gotha. Mais on peut penser qu'il est d'ores et déjà parvenu à ses fins avec cette acquisition, dont personne dans le monde ne doute de la portée – et en laquelle certains voient un bouleversement de l'économie des transferts. Il serait infiniment plus sain de travailler à la suppression de ce marché spéculatif qui abrite des flux financiers opaque et incontrôlés, comme le demande la FIFPro, le syndicat international des joueurs. Mais, ainsi que le résume son président Philippe Piat : « Les grands clubs préfèrent avoir des joueurs très chers pour qu'il n'y ait qu'eux qui puissent les acheter ».

UN BÉNÉFICE ÉQUIVOQUE POUR LA LIGUE 1

Dans les satisfactions qui se sont exprimées quant à l'arrivée de la superstar en Ligue 1, il entre une part de chauvinisme, ou du moins le sentiment d'une revanche pour le championnat de France. Traditionnel parent pauvre du Top 5 européen, quasiment condamné à sa cinquième position, il est apparu, ces toutes dernières saisons, susceptible de concurrencer plus directement ses rivaux.
D'abord parce qu'après la reprise du PSG par QSI, d'autres investisseurs étrangers ont récemment acquis des clubs (Monaco, Marseille, Lille), tandis que Lyon est armé pour défendre sa place dans le cinq majeur. Ensuite parce que le championnat de France continue de former des jeunes joueurs dont certains ont un potentiel exceptionnel. Enfin parce qu'un certain renouveau du jeu s'exprime grâce à l'arrivée d'entraîneurs étrangers – mais pas étrangers au spectacle. La présence de Neymar ne peut qu'accentuer l'intérêt et inciter à réviser les opinions sur la L1 et, à terme, contribuer à augmenter ses revenus.

Le bénéfice collectif de ce transfert est toutefois équivoque. Le PSG renforce son hégémonie économique et sportive sur le championnat de France, contrariée la saison passée par le titre de l'AS Monaco. La capacité d'investissement du fonds souverain qatari s'exerce inévitablement aux dépens de ses concurrents nationaux. Quant à l'augmentation des revenus collectifs, via les droits de retransmission notamment, elle profiterait d'abord aux clubs les plus puissants et contribuerait à installer une petite élite nationale.

POUVOIR DE FASCINATION

Il ne faut donc pas se tromper sur le sens de l'événement, ni s'arrêter au constat de sa rationalité économique. Ce « transfert du siècle » est celui de l'époque. Ce n'est pas tant cette transaction-là et son montant qu'il faut déplorer que les conditions qui l'ont rendue possible, et même logique. Un club peut être le jouet d'un milliardaire quelconque, d'un fonds d'investissement et même d'un État, qui vont impunément pratiquer le dopage économique. Le football est sous l'empire d'enjeux financiers qui poursuivent sa transformation en spectacle mondialisé dont les profits sont captés par une petite oligarchie de clubs à qui garantissent ainsi leur suprématie sportive.

Tout cela semble cependant devoir être balayé par une vague d'enthousiasme qui confine à l'unanimisme : imitant la tour Eiffel, les médias sportifs se sont allumés comme des guirlandes de Noël. La zlatanolâtrie risque d'apparaître comme une pathologie bénigne en comparaison. 
Aussi dévoyé soit-il, le football-business démontre ainsi qu'il conserve son pouvoir de fascination. Il l'a même augmenté, non seulement en instituant certains clubs comme des marques mondiales, mais aussi en valorisant des méga-stars internationales devenues plus riches que de nombreux clubs qu'ils affrontent et dont les transferts font partie du spectacle. Des joueurs-marques qui font marcher les affaires et avaler la pilule d'un sport dans lequel la logique sportive est toujours plus inféodée à la logique économique à sous les applaudissements de la plupart des médias, mais aussi des institutions sportives et politiques. C'est cela qu'occultent les 222 millions, les enthousiasmes et les indignations.

Il y a deux ans, c'est le transfert d'Anthony Martial qui avait fait sensation : 50 millions (et 30 millions de bonus potentiels) pour passer de l'AS Monaco à Manchester United, alors que le joueur de dix-neuf ans n'avait pas disputé cinquante matches en Ligue 1. Dans les semaines qui viennent, l'éventuelle vente du prodige Kylian Mbappé, dix-neuf ans lui aussi, atteindrait d'autres sommets.
Lire l'interview de Loïc Ravenel et la réponse de Jean-Pascal Gayant, ou cet article de Capital.
Soupçons de financement du terrorisme, atteintes aux droits de l'homme mises en lumière sur les chantiers des stades de la Coupe du monde 2022, présomptions de corruption lors de l'attribution de cette dernière, etc.

Les venues de David Beckham et de Zlatan Ibrahimovic à Paris avaient déjà procédé d'une stratégie d'acquisition de prestige via les transferts de « grands noms ». L'apport sportif du premier a été nul, celui du second positif mais ambivalent.

La carrière de Neymar raconte aussi les montages financiers rocambolesques, l'opacité des transactions et des rémunérations d'intermédiaires, les stratégies d'évasion fiscale. On appréciera aussi la représentation biaisée des rentrées fiscales attendues de ce transfert, omettant le calcul du manque à gagner occasionné par le très généreux dispositif d'impatriation.

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